DANS UNE SOCIÉTÉ OÙ LA SINGULARITÉ ET L’AUTONOMIE sont à la fois des valeurs recherchées et des exigences normatives, les modes d’intervention sociale se sont profondément transformés. Il s’agit de plus en plus de produire, ne serait-ce que potentiellement ou sous forme de simulacre, une individualité capable d’agir sur et par elle-même. Mais cela est-il toujours possible ? Deux cas de figure limites mettent à l’épreuve l’image que les sociétés contemporaines se donnent d’elles-mêmes : la fin de vie et l’itinérance. Même s’il s’agit de phénomènes, de situations et de modalités d’intervention distincts, l’observation et la comparaison de leurs dynamiques sociologiques nous révèlent les facettes d’un régime commun qui bouscule les frontières de la socialité ordinaire : la vie moindre.
Des situations comme celles présentées dans ces pages constituent des révélateurs exemplaires de ce qu’une société définit comme ses conceptions ordinaires et valorisées de la vie, car elles interpellent le lien social là où il semble proche de la rupture. Toutefois, pour paraphraser Musset, entre presque rien et rien, il y a tout un monde. C’est précisément sur « ce qui reste », sur ce « moindre » ou « presque-rien », que l’intervention sociale et la société peuvent avoir prise, pour le meilleur et pour le pire.