Malgré l’éclat légendaire de son nom, Messaline reste une grande inconnue que tous croient connaître. C’est pourtant à un voyage véritablement extraordinaire que les discrètes, mais fascinantes, traces de l’impératrice nous invitent. Personnification d’un vice, la luxure, et du genre féminin, Messaline est peu à peu devenue un des principaux mythes érotiques de l’Occident jusqu’à incarner la plus sulfureuse des femmes fatales. Fusion vivante de féminité et sexualité mais aussi d’Éros et Thanatos, Messaline occupe une place de choix, même si bien souvent occultée et souterraine, dans l’imaginaire occidental qui en est à la fois rebuté et envoûté. Elle-même marginale, elle aura hanté la lisière des « mauvais genres », alimentant une poétique du mauvais goût (du kitsch à l’obscène, en passant par la comédie vulgaire), mais aussi des œuvres fortes en marge du canon, obsédées par sa présence enchanteresse (Sade, Jarry, Casanova, Graves, etc.). Elle règne ainsi sur de vastes pans de notre imaginaire culturel, des opéras baroques aux romans archéologiques de la fin-de-siècle, des manuels sexologiques aux nympho-romans les plus pulp, de l’historiographie aux pornopéplums de la révolution sexuelle. Traçant par sa scandaleuse présence une traînée de stupre s’étendant de l’Antiquité jusqu’à notre paradoxale hypermodernité, elle relie dans une perspective souvent étonnante les dessous de la tradition classique qui ne nous a jamais réellement quittés, et, plus important sans doute, elle dessine en creux l’histoire de la répression du désir féminin et, partant, de la féminité elle-même.
De là son triomphe inattendu dans nos sociétés post-disciplinaires, qui croient en avoir fini avec elle mais sont toutes entières fascinées par la splendeur dévergondée de ses lointaines héritières, les néo-nymphos qui, de la musique pop au porno hard sillonnent la culture de masses du Village Global. Dans cette disparition paradoxale qui se lit comme un triomphe sans égal, affranchie de la damnatio memoriae qui pendant deux mille ans avait couvert son image d’opprobre, Messaline aura-t-elle enfin trouvé le bonheur ?